Emma écrit par Jane Austen en est mon roman préféré, je l’ai lu à plusieurs reprises et évidemment, j’en ai vu toutes les adaptations, que ce soit pour le cinéma ou la télévision. Aussi, lorsque cette version de Emma est sortie, j’étais à la fois curieuse et un peu aussi dans l’appréhension car il est vrai que beaucoup d’adaptations récentes de romans classiques font frissonner tant elles passent à côté de leur source d’inspiration. Netflix a traumatisé des génération de Janéites avec son adaptation lamentable de Persuasion, mais cela fera l’objet d’un autre post sur ce blog… si j’arrive un jour à m’en remettre.

Quoi qu’il en soit, cette adaptation de Emma a très clairement bénéficié d’un budget conséquent de production et cela se ressent tout de suite. Je ne m’y connais pas suffisamment pour commenter le soin apporté à l’authenticité des costumes, mais de mon point de vue, visuellement il n’y a pas grand chose à reprocher à ce film. On remarque assez vite le parti pris pour une palette de couleurs dans les tons pastels, ce qui peut-être un peu déroutant mais je m’y suis vite habituée, même si à mon goût cela apporte un peu trop de modernité.

Concernant le choix des acteurs, et leurs interprétations des personnages, il y a déjà plus matière à débat. N’ayant jamais regardé « The Queen’s Gambit« , je ne connaissais pas Anya Taylor-Joy, et je dois dire qu’elle a été une bonne surprise. Cette actrice campe une Emma très réaliste, très ancrée dans son statut social, snob juste comme il faut pour que la scène où Emma se moque avec méchanceté de Miss Bates ne semble pas hors de propos et plutôt bien intégrée dans l’histoire. Son parti pris de mettre en avant la personnalité froide et hautaine de Emma m’a enfin permis de comprendre pourquoi tant de personnes détestent ce personnage avec passion. C’est un choix bien sûr, car dans le roman de Jane Austen, Emma a des qualités qui permettent de compenser ses défauts, comme par exemple son amitié sincère avec Mr Knightley ou encore sa volonté de s’efforcer à tout faire au mieux pour le bien-être de son père, Mr Woodhouse.

A mon goût, cette adaptation trouve ses failles dans le choix des acteurs secondaires. Johnny Flynn, l’acteur campant Mr Knightley est charmant, mais très clairement la production a fait le choix de gommer la grande différence d’âge entre Emma et Mr Knightley, très probablement pour ne pas incommoder les spectateurs plus jeunes qui n’auraient peut-être pas encore lu le roman. C’est dommage, car cet écart d’âge justifie le fait que Mr Knightley conseille ou réprimande Emma vis-à-vis de son comportement, et ici on a juste l’impression que ses remarques sont déplacées, qu’il se permet de la guider là où son propre père ne s’y autorise pas.

Ajoutons à la liste de ce qui m’a déplu la performance de Bill Nighy dans le rôle du père de Emma. J’aime pourtant cet acteur depuis longtemps, mais il me semble qu’il est intégralement passé à côté de l’essence même du personnage de Mr Woodhouse. Dans le roman, il s’agit d’un homme vieillissant, hypocondriaque pour lui et pour les autres, inquiet à l’extrême pour ses filles et ses amis, et il faut se figurer qu’Emma a grandi dans ce climat anxiogène et que c’est la raison pour laquelle elle s’occupe avec tellement de soin de lui, au point de refuser de quitter Hartfield, la demeure familiale, pour épouser Mr Knightley. Ici, Bill Nighy campe le personnage de façon très dynamique, on le voit même sauter en bas des escaliers comme un petit jeune plein d’entrain dès les premières minutes du film, et lorsqu’il se plaint du temps ou de la toux de tel ou tel personnage, on a surtout l’impression qu’il en rajoute dans la complainte pour incommoder ses proches. Il y a quelque chose qui n’est pas crédible et qui le rend antipathique puisqu’on ne parvient pas à le considérer comme souffrant d’hypocondrie. Pire, la mise en scène accentue encore plus le côté pathétique du personnage en le camouflant derrière de multiples pare-vents tout au long du film, ce qui le coupe littéralement encore plus des autres personnages.

Enfin, le gros reproche que je peux adresser à cette adaptation, est dans le choix d’ajouter des éléments de comédie qui ne sont pas dans le roman, comme si il y avait lieu d’améliorer l’œuvre de Jane Austen alors, qu’en réalité, c’est du nivellement par le bas. Outre l’ajout de pare-vents autour de Mr Woodhouse, je pense surtout à la scène de la déclaration d’amour de Mr Knightley à Emma, qui aurait pu être parfaite si le script n’avait pas voulu que Emma se mette à saigner du nez sans la moindre raison. Apparemment c’était sensé être drôle. Ah.

Il y a aussi des libertés qui ont été prises par les scénaristes. Mr Knightley annonce à Emma qu’il va demander à Mr Martin de faire une nouvelle demande en mariage à Harriet, et Emma s’empresse de lui répondre que c’est à elle de s’en occuper. Au plan suivant, on voit notre chère Emma pourtant si pleine de sa propre importance sociale, un panier de victuailles à la main en offrande pour Mr Martin qu’elle va trouver chez lui, dans une ferme, pour s’excuser du tort qu’elle lui a causé. Évidemment, cet épilogue n’existe pas dans le roman de Jane Austen qui était bien consciente des barrières érigées par des classes sociales différentes. J’imagine que le but est de mettre l’accent sur l’évolution du personnage, Emma allant jusqu’à socialiser avec un fermier, mais au passage les scénaristes ont oublié que Mr Knightley, lui aussi, estimait que Harriet ne pouvait pas trouver mieux comme époux qu’un fermier parce qu’on ne connaissait pas ses parents. Sans cette différence de statut social, qui était une réelle problématique à l’époque de Jane Austen, le roman et toute l’histoire n’ont aucune raison d’être! Faut-il donc tout moderniser pour un public ignorant? Ou vaut-il mieux servir l’histoire dans son jus afin que ce même public sorte de sa zone de confort et découvre une culture différente de la sienne?

En résumé, c’est une adaptation qui a son charme mais aussi son lot de défauts, et très franchement, même si je lui reconnais l’intérêt d’exister pour amener un nouveau public plus jeune vers l’œuvre de Jane Austen, je ne lui trouve pas suffisamment de qualités pour marquer les esprits, en tous cas pas le mien. Vous l’aurez compris, cette adaptation ne surpasse pas la version avec la brillante Romola Garai dans mon cœur, mais elle aura au moins eu le mérite de me divertir pendant deux heures.

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